Tu es rentré d’Alep et de Tripoli. Tu es rentré de Kaboul, blessé. Tu es rentré de Bagdad. Tu as rampé sous des tirs. Tu as couru dans des ruines. Tu as guetté une accalmie avant de t’élancer à découvert. Tu as attendu que le sniper s’endorme. Tu as enfilé des gilets pare-balles. Tu as guetté le passage des avions, appris à reconnaître le bourdonnement des drones. Tu as photographié les éboulis, les flaques de boue, de jeunes hommes rigolards, casque en arrière et cigarette au bec. Tu as immortalisé le geste de cet homme lançant une grenade, et saisi l’immobilité des enfants accroupis, serrés les uns contre les autres, dans cette cour près de l’hôpital incendié. Tu as cadré les vivants et les morts, des combattants et des blessés, l’épuisement des réfugiés, la terreur des assiégés.
Aujourd’hui tu marches doucement dans une rue calme d’une ville en paix. Tu marches les yeux mi-clos, la lumière est douloureuse. Le silence est douloureux, aussi. Le soleil de janvier n’a pas suffi à réchauffer la journée, ni à sécher le trottoir et ta fatigue est immense, tu sens chaque muscle, chaque os, et tu te dis que tu vas tomber avant d’arriver au prochain feu. Tu vas tomber ou bien te laisser glisser, te laisser glisser doucement et rester allongé immobile sur le trottoir mouillé.
Soudain, ton portable sonne. Tu réponds. La conversation sera brève. Déjà ton pas s’accélère, tu te redresses, tu cours presque, tu arrêtes un taxi, tu continues à parler, tu griffonnes au dos d’un carnet. Dès demain tu repars : 9h55, aéroport Charles de Gaulle, terminal F, vol AF49.