Ils avaient tous cru, une fois la voiture localisée, qu’on allait très vite la retrouver. Moi aussi, j’avoue qu’en arrivant, l’un des premiers, sur le lieu indiqué, un plateau désolé à quelques centaines de mètres de la limite sud de la ville, j’étais certain que cette affaire, qui nous avait tous rendus à moitié fous depuis deux mois, allait enfin être résolue. La deux-chevaux était bien là, exactement celle décrite par la serveuse du bar des fleurs, ça l’avait étonnée après coup que quelqu’un se serve d’une deux chevaux pour commettre un crime, c’était bien un crime, oui, un enlèvement, un kidnapping, c’est bien un crime, alors pourquoi une voiture aussi… enfin pas une voiture de criminel, vous voyez ce que je veux dire. Un moment j’ai espéré que la gosse dormait, bourrée de somnifères, dans un container jaune, monté sur roues, posé de travers près de l’abri sous lequel était garée la voiture. Mais non, il était vide, tout comme la voiture elle-même. Les gars du labo étaient déjà en train de sortir leur matériel, je m’éloignai un peu pour ne pas les gêner. Elle avait raison cette fille, on ne se sert pas d’une deux-chevaux, et encore moins d’une deux-chevaux vert pomme pour enlever un enfant.
Il se remit à pleuvoir et, brusquement, j’en eus assez de cette enquête qui ressemblait à un vieux Maigret : pluvieuse, lente et glaciale. Sauf que je n’avais personne, moi, pour me préparer une blanquette dans la cuisine d’un appartement du boulevard Richard Lenoir. Je débutais dans la police et j’habitais seul dans un studio à Grigny. Je fis le tour de l’abri. De son toit pendait curieusement une gouttière, sans doute pour permettre de recueillir l’eau de pluie ruisselant sur la tôle ondulée. Le sol spongieux ne révéla aucune trace de pas, à croire que le gars s’était envolé avec la petite fille.
Je m’écartai encore un peu, suivant le chemin de terre qui descendait vers un bois, puis m’engageant carrément dans celui-ci, sur un sentier minuscule et très en pente. Je faillis m’étaler plusieurs fois, glissant dans la boue puis retrouvant mon équilibre au dernier moment. Le sentier s’arrêtait net en haut d’un raidillon, une sorte de petite falaise d’une dizaine de mètres de haut. En bas, une clairière dans laquelle on avait fait, récemment, du feu. Un bruit de feuillage agité me fit sursauter, et je vis filer un chevreuil, sur ma droite, si près de moi que j’aurais pu le toucher. Je pensai bêtement : c’est pas Bambi que je cherche, c’est la petite Sirène, et je décidai de remonter à la voiture, et d’appeler des renforts.