(commencer la lecture au 1er épisode)

Toutes les villes sont dorées au coucher du soleil, dit Thomas à Tarek.

Il y a trop de monde sur la terrasse de la Tate Modern, trop de gens qui pointent du doigt le dôme de la cathédrale Saint Paul, photographient le walkie-talkie, le cornichon ou l’esquille, ou bien se laissent aller à scruter l’intérieur des appartements de luxe dans la tour d’habitations qui jouxte le musée.

Salma est arrivée hier soir, avec Bodil, qui va passer deux jours à Londres avant de rejoindre Stockholm. Tu vois, a-t-elle dit à son frère venu la chercher à Heathrow, finalement, c’est moi qui suis venue.

Salma et Bodil sont hébergées chez Tarek, dans l’appartement où Thomas habite aussi depuis bientôt un an. Lundi, quand Bodil sera partie, Salma ira passer quelques jours avec sa mère à Hedgerley. Bodil les a convaincus de l’accompagner à la Tate Modern. “Il y a ce Français, Philippe Parreno, que je ne veux pas rater. Peut-être que vous le connaissez, il avait co-réalisé un film sur Zidane, en 2005, qui s’appelle “Zidane, un portrait du 21e siècle“. C’est plus une installation, en fait, qui transforme la Tate elle-même en un organisme vivant, qui se reconfigure selon le temps qu’il fait , les gens qui sont là, dont l’éclairage se modifie, le son évolue,  les cloisons se déplacent.” L’enthousiasme de Bodil était communicatif,  sa description plutôt hermétique, et cela les a décidé tous les trois à la suivre.

Lorsqu’ils sont arrivés dans la salle des machines (Turbine Hall), dont la pente descendante rappelle celle qui semble aspirer les visiteurs vers le Centre Pompidou à Paris, ils ont été saisis par l’immensité du lieu  que beaucoup d’enfants apprivoisaient en se laissant rouler, allongés au sol, vers le fond de la salle. Salma et Bodil les ont imité aussitôt, remontant comme eux plusieurs fois la pente pour recommencer à la dérouler. Elles ont ensuite retrouvé Thomas et Tarek derrière de grands panneaux blancs.

Allongés par terre, la tête de l’un posée sur le ventre de l’autre, enroulés dans une couverture, ils semblaient subjugués par un long plan très rapproché de la tête d’un céphalopode. Salma s’est assise, Bodil est restée debout, toutes deux immédiatement absorbées par les images. Leur histoire a chacun suspendue, comme les panneaux blancs, comme les haut parleurs, leurs pensées de plus en plus espacées, discontinues, leur esprit s’est mis à accueillir paisiblement l’inattendu des images et des sons. Aucun d’entre eux n’aurait pu préciser comment, mais la proximité d’inconnus allongés et assis autour d’eux participait à leur état de  légère transe.

Tarek a voulu monter sur la terrasse avant la nuit. Thomas connaissait son goût pour les vues panoramiques : Tarek l’avait emmené au sommet des principaux buildings, qui presque tous ouvraient l’un de leurs derniers étages au public. Ils avaient passé des heures à tenter d’identifier des bâtiments, à observer le miroitement de la Tamise, les flux de voitures et d’autobus, les piétons de la taille de fourmis s’affairant dans la City, la course des nuages au dessus des entrepôts et des routes.

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