Lorsque Tarek lui a dit oui pour le boulot, lorsqu’il lui a dit tu commences lundi, Thomas a appelé son père en sortant du salon, il pleurait au téléphone et celui-ci a cru que son fils s’était encore attiré des ennuis. Il a fini par comprendre que cette fois ça y était, il avait trouvé un job, un vrai, payé, pas un stage, pas un remplacement, pas un intérim, pas un dépannage, non, un travail, tu commences lundi, et il s’est mis à pleurer lui aussi. Pourtant, il n’avait guère apprécié que Thomas décide d’entrer à l’école de coiffure. Thomas s’était exercé dès l’enfance au métier des ses rêves, d’abord avec les poupées de Patricia, puis avec Patricia elle-même lorsqu’elle eut treize ans et entama sa période gothique. Elle lui montrait sur internet les filles auxquelles elle souhaitait ressembler , et il réussit si bien à imiter les coupes et les couleurs que toutes ses amies voulurent qu’il les coiffe elles aussi.

Tarek est venu témoigner à la journée “mais que sont-ils devenus ?” à l’école de coiffure, moins de deux ans après l’avoir quittée diplôme en poche. Thomas a conservé ensuite soigneusement la carte de visite de son salon pour hommes de Bricklane que le coiffeur a distribuée aux élèves après son intervention. Lorsque Thomas se présente un matin, deux mois plus tard, le salon est sans dessus dessous. Tarek a dégagé complètement le mur à l’arrière et, assis dans l’un des fauteuils destinés aux clients, observe en buvant son thé l’homme en train de réaliser à l’aide de bombes aérosol ce qui semble être un paysage fluvial au coucher du soleil.

L’odeur de peinture est encore forte le lundi suivant, alors que Thomas aide Tarek à remettre tout en place avant l’arrivée du premier client. Ils achèvent de disposer les blouses sur le dossier des fauteuils quand s’ouvre la porte d’entrée. Thomas est si soucieux de bien faire qu’il continue de s’empresser au fond du salon, laissant Tarek accueillir le client et lui proposer un café, avant de sortir en lui jetant un désinvolte “tu t’en charges”.

Apercevant enfin dans le miroir qui leur fait face à tous les deux le visage de son père, Thomas s’efforce de sourire à leur double reflet. Pour la première fois, il prend conscience de leur ressemblance. Les mèches grises tombent sur le carrelage. La radio passe une chanson de Bachar Mal-Khalifé. Le temps semble suspendu, et jamais Thomas ne s’est senti aussi triste, aussi vulnérable.

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