Habiter quelques années dans une tour permet de constater que l’on n’y éprouve pas nécessairement le sentiment désagréable de vivre dans l’une des petites cases qui en rythment la façade. Passée la porte de son appartement, cette idée s’évanouit. La lumière, l’absence de vis à vis, la beauté de la vue compensent largement la dépendance envers l’ascenseur ainsi que la traversée obligatoire d’un couloir intérieur souvent sans charme pour y accéder.

[aesop_image imgwidth=”50%” img=”http://clayssen.paris/wp-content/uploads/2016/05/cartespostales.jpg” offset=”-200px” align=”left” lightbox=”on” captionposition=”left”]

De même que l’on s’efforce en vain de trouver différents modèles de carte postales à envoyer à ses amis lorsque l’on voyage, alors que chacun n’en recevra qu’une et qu’on pourrait sans dommage envoyer la même à tous, le fait que les appartements dans les grands ensembles soient identiques entre eux semble n’avoir aucune importance : n’habitant qu’un appartement à la fois, cette similarité ne devrait avoir aucun impact sur la satisfaction des habitants.

La répétition à l’identique et l’uniformité ne sont d’ailleurs pas l’apanage de l’habitat collectif. Cela vaut la peine d’aller jeter un coup d’œil sur le site du photographe Christophe Gielen, et d’y découvrir les photographies aériennes d’immenses zones pavillonnaires américaines. On peut aussi faire un tour dans la banlieue parisienne avec Google Maps.

[aesop_parallax img=”http://clayssen.paris/wp-content/uploads/2016/05/Capture-d’écran-2016-05-29-à-20.44.31.png” parallaxbg=”on” parallaxspeed=”3″ captionposition=”bottom-left” lightbox=”on” floater=”on” floaterposition=”left” floaterdirection=”up”]

Que se passe-t-il lorsque les architectes décident, en construisant un immeuble, que celui-ci ne contiendra pas deux appartements semblables ? Est-ce que le fait de savoir  que l’immeuble où ils vivent contient des appartements tous différents change quelque chose à l’expérience que les habitants ont de leur logement ? Les liens tissés entre les habitants de l’un de ces immeubles leur ont permis de vérifier la réalité de cette singularité de chaque appartement. Ils ont régulièrement l’occasion d’entrer les uns chez les autres : ici, la cuisine communique avec le salon ; là, une petite terrasse donne sur la cour intérieure, au cinquième droite, les chambres des enfants communiquent entre elles.

[aesop_image img=”http://clayssen.paris/wp-content/uploads/2016/05/Capture-d’écran-2016-05-29-à-19.43.54.png” offset=”-200px” align=”left” lightbox=”on” captionposition=”left”]

D’un point de vue fonctionnel, il importe peu que tous les appartements d’un immeuble soient uniques. Le résultat de cet effort pourrait demeurer anecdotique. Seulement, le fait de savoir que la portion d’espace qui accueille notre quotidien n’est pas interchangeable a une grande importance, et celle-ci est d’ordre symbolique. Et cette importance me semble en relation avec le processus d’individuation dont parle la philosophe Cynthia Fleury. Cela nous aide à nous considérer chacun comme un être irremplaçable, non dans le sens orgueilleux d’une performance individuelle particulière qui nous donnerait une valeur supérieure à autrui, mais dans celui, plus modeste, nous offrant à chacun la certitude de la singularité.

Mais revenons aux cartes postales : une fois choisies les cartes, il faut ensuite trouver les quelques mots que l’on va inscrire dans la partie réservée à la correspondance. Saluons Georges Perec, qui bien avant la folie des bots, conçut un générateur d’écriture de cartes postales dont il décrit le fonctionnement très précisément dans «243 cartes postales en couleurs véritables». Antoine Denize en a tiré une séquence interactive pour son superbe CD-Rom intitulé “Machines à écrire“, publié en 1999 et réédité en 2004.

Machines à écrire,  machines à habiter : la poésie se niche dans leurs rouages, bien plus que dans ce qu’elles produisent.

Leave a comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *