Certains prés en pente douce vous donnent l’impression que, si vous marchez assez longtemps vers leur sommet, vous arriverez à toucher le ciel. Tous les prés ainsi légèrement penchés et bordés d’un bois sont en réalité des répliques de ce pré où nous avons joué enfants, avec tant de sérieux. Armés d’arcs et de flèches invisibles, nous marchions en file indienne, longeant la futaie, le plus silencieusement possible. Nous avions nos noms d’indiens, secrets, que je ne peux révéler, même après tout ce temps. L’hiver était rude, la terre gelée, l’herbe blanche de givre craquait sous nos bottes. Le froid mordait nos joues peinturlurées, et nous visions les corbeaux qui s’envolaient à notre approche. Nous ne nous amusions pas : nous étions des indiens partis chasser et nos gestes étaient parfaits. Nos visages devaient demeurer impassibles, nos regards se perdre dans le lointain. Nous ne parlions guère : nous étions si fiers, si mystérieux.
Certaines sensations sont pour toujours attachées à ces instants d’enfance : l’essoufflement après une course, le bruit que font mes pas dans un sous-bois, le froid glacial sur mon visage.
Oui, la file indienne… l’arc et les flèches… la forêt qui cache des ennemis à plumes… un pré pas forcément à la Ponge, un pré-adolescent…
Souvenirs non blessés (et malgré tout bien “pansés” par vous).