“Raymond,  j’y ai dit, tu peux donc pas rester tranquille un peu,  j’y ai dit mais il était déjà parti avec son seau et son crochet, qu’est-ce que j’en ai besoin moi de ses palourdes et de ses bigorneaux, je les digère pas, ni lui, mais il est comme ça le Raymond, faut qu’il s’agite, faut qu’il creuse, je l’ai toujours vu comme ça. Moi j’avais à faire, j’y vais plus à la plage, j’aime plus, j’aimais bien mais j’aime plus, je préfère rester tranquille, avec ma hanche, j’ai guère envie de bouger plus que ça.

A l’heure qu’il devait rentrer, je me suis mise dans mon fauteuil, le beau que la Claudine m’a acheté l’année dernière, avec des boutons pour s’allonger et se relever, je dormais presque quand j’ai entendu une voiture, j’ai cru que c’était lui qui rentrait mais pas du tout, c’était les gendarmes, deux petits gars que j’avais jamais vus, des nouveaux, et là j’ai appuyé sur le bouton du fauteuil, celui qui t’aide à te relever, mais j’ai quand même pas pu, j’avais les jambes toutes molles, avant qu’ils me l’aient dit je le savais qu’il était arrivé quelque chose de grave, rien qu’à leur tête toute gênée, et à leur façon de se regarder à qui qu’allait me le dire, que le Raymond il était disparu sous la falaise, qu’elle s’était pour ainsi dire écroulée directement sur lui, et qu’on le retrouvait pas, qu’ils avaient eu beau chercher avec du matériel et tout, ils avaient dû s’arrêter à cause de la nuit, puis de la marée qui montait.

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L’ont retrouvé en mer, finalement, oui, c’est là qu’ils l’ont retrouvé, en mer, c’est la marée qu’a fait bouger les rochers et qu’a fait qu’il s’est mis à flotter, et  qu’il est parti dans l’eau comme ça, mon Raymond. Et c’est les mêmes petits gars qui sont venus me prévenir le samedi matin, Claudine et Gérard étaient là aussi, ils sont arrivés tout de suite quand ils ont su pour Raymond, la Claudine elle était toute blanche et elle tournait dans la maison, ça m’aidait pas tellement qu’elle soit là en fait, mais en même temps j’allais pas lui dire laisse-moi donc tranquille ça se fait pas de dire ça.  Alors j’ai rien dit je les ai laissés s’occuper de tout. Le dimanche, j’ai dit à Gérard tu peux m’emmener à Vasterival pour voir où que c’est que Raymond il était mort,  j’y croyais pas encore qu’il était mort, même si c’était officiel et tout, je m’attendais qu’il rentre avec ses bigorneaux et qu’il me dise la bonne farce que je t’ai fait dis donc Paulette, mais non il rentrait pas plus que ça, alors j’ai voulu aller me rendre compte par moi-même.

 

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Je comprends pas bien comment qu’il a fait son compte, il le savait bien le Raymond qu’elle tombe des fois par bouts c’te falaise, et que c’est pas malin malin de s’mettre en dessous, il a pas du lever le nez de son crochet, il s’est trop rapproché, bien plus qu’il ne croyait, tellement qu’il regardait dans ses trous d’eau pour guetter les bestioles. On a pris la petite route qui descend si raide, j’ai essayé de me rappeler de quand que c’était que je l’avais prise pour la dernière fois c’te route qu’on peut même pas s’croiser tellement qu’elle est petite, sûrement avec le petiot, Lionel, le fils à Claudine, quand elle me le donnait à garder du temps qu’il allait à l’école, pendant les vacances, ben oui surement avec Lionel, même que peut-être qu’on est allés pique-niquer à la plage, avec Raymond, peut-être qu’il avait mis la glacière dans le coffre de la 4L, et le Lionel il se tenait plus, mais ça fait longtemps que je l’ai vu celui-là, depuis qu’il travaille à Singapour, dans la banque il est le Lionel, ça m’étonnerait qu’il puisse venir pour les obsèques.

Y avait pas grand monde en bas de la route, à cause qu’il faisait pas tellement beau, les gens ils aiment pas trop la plage quand il fait gris, juste deux voitures sur le parking, des parisiens qui venaient d’arriver, qu’étaient tout excités et qui faisaient des photos avec leur téléphone en criant c’est trop beau c’est trop beau ils savaient surement pas pour Raymond, autrement ils auraient pas fait tout ce boucan, non, y savaient pas, moi j’ai descendu doucement en m’appuyant sur le bras à Gérard, il pleurait le Gérard mais j’ai fait semblant de pas voir, j’ai respiré un grand coup, j’ai regardé le bout de mer qui s’agrandit dans le grand trou en V de la valleuse au fur et à mesure qu’on descend,  j’ai entendu les mouettes et j’ai senti l’odeur des algues et des vagues, et arrivée en bas j’ai d’abord regardé vers Pourville et y avait pas d’éboulement ni rien alors j’ai tourné la tête de l’autre côté, du côté de Quiberville, et là  je l’ai vu, le tas de rochers encore bien blancs, tout frais tombés de la falaise, le tas de cailloux qu’avait tué Raymond pendant que je dormais dans mon fauteuil électrique.

Bon, mets-moi pas d’araignée, Julie, elles sont toujours vides à cette époque. Trois carrelets si tu veux bien. Sont encore là, les jeunes, et faut bien que je les nourrisse, non ?”

 (Note : c’est un véritable et tragique accident récent qui m’a conduit à écrire ce récit, dont les personnages sont tout à fait imaginaires. Toute ressemblance avec des personnes réelles serait involontaire, et de pure coïncidence.)

 

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